Explosion artistique
Blast T.1 Grasse carcasse (scénario et dessins de Manu Larcenet, Dargaud)
Avant de commencer à écrire cette chronique je me suis dit : est-ce vraiment la peine de parler de Blast ? L’un des albums qui a sans doute eu la plus grosse couverture médiatique de l’année 2009 (mais quand même moins que le "machin" gaulois) ? Doit-on ajouter notre pierre à la muraille de la critique/chronique bédéphile ? Et puis je me suis souvenu de la devise IDDBDéiennes, « Chroniquois ce qu’il te plaira » (ou un truc du genre je me souviens plus bien) en me disant que les ayatollahs de la bonne morale cyberBD, auquel nous avons déjà eu à faire il y a quelques temps, nous traiterais encore de vendus à la gloire de l’anti-édition-alternative. Mais, en faisant fis de ces imbéciles, BD alternative ou pas, j’ai aimé cet album. Et c'est bien la seule réponse intéressante.
Si ces derniers mois, vous avez vécu dans une bulle (jeu de mot foireux nous voilà) alors je vous fais un petit topo sur l’histoire. Dans un commissariat de police, un homme est interrogé par deux policiers. Il a fait quelque chose de grave. Quoi ? On le devine rapidement mais la question est surtout de savoir pourquoi. Et justement, les policiers et le lecteur sont là pour écouter l’histoire de Polza, écrivain/chroniqueur gastronomique, qui du jour au lendemain a choisi de devenir clochard. Et pour comprendre ce personnage difforme d’obésité, il faudra prendre son temps et s’armer de patience.
Je ne connais pas personnellement Manu Larcenet. Je l’ai vu et entendu à Angoulême lors d’une très intéressante rencontre avec Gotlib, lu pas mal de ses albums (de Dupuis à Fluide en passant par les Rêveurs et Dargaud), ainsi que son blog et différentes interviews, et enfin parcouru ses réactions souvent orageuses sur les forums. Je peux donc effleurer la possibilité de penser connaître un minimum l’artiste. Et Blast est l’album d’un Larcenet qu’inconsciemment (ou pas) je souhaitais voir apparaître un jour. Il pouvait le faire, oui, mais… Avait-il la possibilité de passer outre les angoisses et l’extrême sensibilité que l’on ressent chez l’homme derrière l’auteur de BD ?
Bien sûr, j’aurais beau jeu de faire une post-analyse des albums précédents : remontant à Presque, faisant référence au Combat ordinaire, à La Ligne de front, invoquant les forces obscures du graphisme et la noirceur des scénarii….Pfffff !!!! Je n’ai rien vu venir oui !!!! Je laisse les prédictions aux prétentieux et les analyses aux laborantines. Car du début à la fin de ce premier volume, j’ai été surpris. Surpris par un Larcenet lâchant complètement les chevaux de sa créativité. Si on retrouve ses thèmes de prédilection (l’image du père, la condition sociale, le rapport au monde…), le graphisme sombre de l’album frappe et peut tout à fait calmer les ardeurs des habitués du gentil Larcenet du Retour à la Terre (avec le génialissime Jean-Yves Ferri). Mais dans Blast, même les quelques traits de couleurs ne sont pas là pour rassurer. Au contraire, il participe à cette folie sous-jacente, à cette différence, à cette volonté de s’affranchir, tout comme le héros s’affranchit de son corps pour voir son esprit s’envoler et ressentir le monde. J’aime particulièrement le passage de la première nuit de Polza dans la forêt où, couché par terre, il perçoit pour la première fois la présence des insectes et des animaux de la nuit. Tout est là, dans cette scène. Les descriptions narratives et graphiques sont précises, détaillées, justes. Car incontestablement, Larcenet n'est pas qu'un dessinateur. C'est également un formidable écrivain. Il n'aimera peut-être pas ce terme (sous réserve qu'il lise un jour cette chronique) mais c'est le seul que j'ai trouvé. Manu Larcenet est l'un de ces auteurs de BD capable de poser admirablement les mots puis de se taire, laissant leurs dessins parler pour eux. L'écriture est belle sans être complexe et le dessin est accompli. J'ai ressenti dans Blast une espèce de sérénité chez l'artiste, une plénitude peut-être.
Bien entendu, certains m’accuseront de fanatisme, trouvant dans mes propos un manque de nuance. Pourtant, je reste critique vis-à-vis de certains de ses derniers albums (les très décevants "Les aventures rocambolesques..." ou même le dernier Combat Ordinaire qui m'a laissé une impression bizarre). Et c’est vrai, nous n’avons ici que la première partie d’un triptyque. Attendons la suite. Mais après tout peu importe. Avec ce premier volume de Blast, Manu Larcenet entre dans une autre sphère, celle des très grands auteurs. Et j’en suis très heureux pour lui... et très égoïstement, pour nous aussi.
A voir : la bande annonce